more after reading! Rose E. SMITH

Assise sur mon fauteuil de cuir, mon ordinateur portable blanc cassé sur mes genoux, je mordillais nerveusement mon stylo bille. J'avais déjà trouvé le sujet de l'article que mon patron m'avait confié. Ce n'était que mes débuts en tant que journaliste et je devais assurer! Le sport m'intéressait beaucoup. Plus précisément le handball. Peu de journaux en parlent et c'est l'originalité de ma trouvaille qui me plût. Je souris, satisfaite et entamai différentes recherches sur ce sport qui, pour le moment, me portait chance. Je n'avais que deux jours pour terminer - ou plutôt commencer - cet article, je devais bien sûr me dépêcher pour éviter un éventuel premier échec. Cela me faisait très peur. Depuis petite, j'ai toujours eu ce que je voulais, servi sur un plateau d'argent et accompagné de diverses luxures dont je ne pouvais que me réjouir. Mon métier, je l'avais choisi dans l'unique but de remercier mes parents et de leur démontrer mon amour pour eux. Je n'avais jamais été attiré par celui-ci mais mon besoin d'écriture convenait parfaitement à ce travail. Tout le monde était content. Moi aussi.

- Smith ? Tu n'as pas beaucoup de temps devant toi ... Tu devrais te mettre au travail au lieu de rêvasser sur les jeunes hommes torses nus, dehors, plaisanta le chef.

Je fronçai les sourcils, jeta un rapide coup d'oeil par la fenêtre et me remis au travail. Rien ne m'importait plus que ce maudit article. Je ne pouvais que réussir. L'échec ne faisait pas partie de mon vocabulaire ; je ne l'avais jamais connu, jamais rencontré. Après avoir rédigé un long paragraphe sur le handball, ses débuts, ses meilleurs joueurs, ses meilleures équipes, j'effilochai mon article et supprimai de nombreuses phrases, inutiles à mon goût. En moins d'une heure, j'avais déjà trouvé beaucoup d'informations. J'étais satisfaite et fière.
J'entendis frapper à la porte. Quelques secondes plus tard, le chef entra et me salua - pour la deuxième fois - d'un signe de tête. Il affichait une mine anxieuse. Je ne savais pas ce qu'il avait à me dire. Peut-être regrettait-il de m'avoir confié cet article ? Peut-être avait-il peur que ce soit trop dur pour une débutante comme moi ? Oh, qu'il ne s'en fasse pas. Cela me convenait très bien.

- Smith. Ecoute-moi. Je suis désolée mais ... Je te retire cet article. Je dois le confier à une autre journaliste dont l'expérience est plus importante que la tienne, dit-il en riant nerveusement tandis que les deux coins de sa bouche étaient remontés comme si on les avait accrochés en haut à l'aide d'épingles.
- Comment ? Vous ne pouvez pas faire ça ! Je travaille dessus depuis plus d'une heure, j'ai déjà recueilli un tas d'informations et ... J'ai besoin de cet article. J'en ai besoin. Je vous en prie !

Il secoua la tête d'un geste rapide, tourna les talons et déguerpit. Je sentais les larmes se cacher au-dessous de mes prunelles mais me retins, comme je le pouvais. Pourquoi ? Puis, qui était cette fille, au juste ? Je jetai l'ordinateur sur la table, claquai la porte derrière moi et suivis le chef, tout en restant bien évidemment très discrète, comme le meilleur agent secret aurait pu le faire. De nombreuses mains m'interpellèrent mais elles comprirent instantanément que je n'étais pas d'humeur.
Le chef tourna dans la direction des bureaux de l'étage du dessus mais s'arrêta devant une porte en bois. Il entra sans frapper et adressa quelques mots à une jeune femme dont je ne reconnaissais pas le visage :

- Très bien. L'article est à vous. J'espère que vous ne nous décevrez pas.

Il sortit rapidement et je retournai à mon bureau en faisant comme si je n'avais rien vu. Je rangeai mes affaires, gardai précieusement mon début d'article sur le handball dans un tiroir dont personne ne connaissait l'existence et me rassis, en attendant impatiemment le coup des quatre heures. Une fois mon bureau fermé à double tour, je me dirigeai vers la fameuse porte en bois d'un pas rapide en ignorant les autres membres de l'entreprise. Alors que je tournai vers l'étage du dessus, je vis cette voleuse d'article sortir et marcher lentement, tranquillement vers le parking souterrain. Je la suivis, n'étant pas sûre de l'endroit où elle se rendait. Lorsqu'elle sortit ses clefs de voiture de son sac, je l'interpellai et me postai devant elle.

- Bonjour. Tu es nouvelle ici, n'est-ce pas ? dis-je tandis qu'elle hochai la tête en souriant. Bien. Tu dois savoir que si tu te ramasses sur un article, tu seras licenciée directement et personne, aucune entreprise de journalisme ne voudra te reprendre. Sache que la place est chère, ici. Tu devrais attendre un peu avant de commencer la rédaction d'un article pour t'apprivoiser avec ce monde si cruel. Ce n'est pas un conseil. C'est un ordre. A moins que tu ne veuilles finir en veille ménagère jusqu'à la fin de tes jours. Oh! Et j'allais oublier. Cela me paraît évident mais je te donne un conseil : lorsque l'on te refile l'article d'un autre, c'est qu'il est trop compliqué et que même les experts ne peuvent rédiger quelque chose de potable. Seulement, le chef ne peut pas licencier les experts. Il préfère virer les nouveaux arrivants. Au revoir et, ne te précipite pas, finis-je en prenant une mine compatissante.

Je tournai les talons, souriant de mon côté. Tout est bon pour mon bonheur. L'article est dans la poche, les amis. Le luxe est une très bonne éducation, oui. Le luxe peut vous amener à faire fuir les autres. Le luxe est toujours en moi et, désormais, je ne me battrai plus autant pour écrire des articles, servis tous sur un plateau d'argent. Argent dont je bénéficierai tout au long de ma vie. C'est cela, le luxe, les amis.