Il y a des jours, comme ça, où votre vie vous semble maudite. Ça commence toujours de la même manière, innocente, discrète ; un coin de table mal placé, un café brûlant avalé en toute naïveté, un manque cruel de taxi alors que vous êtes en retard. Puis, sournoisement, l’ampleur de votre malchance augmente, jusqu’au moment où vous atteignez ce stade, ce palier où tout un tas de mauvais trucs vous arrivent, en l'espace de très peu de temps.
J’étais dans un de ces jours. Étrangement, j’en fus certain dès mon réveil. Comme un pressentiment, quelque chose de trop complexe pour que je vous l'explique ici. Rapidement, cela se confirma.
Premièrement, lorsque je me suis levé, une gueule de bois pas possible, j'ai constaté que je n'étais pas dans la luxueuse suite de l'hôtel classe que je partageais avec ma meilleure amie et, accessoirement, épouse, mais dans une chambre minuscule & miteuse. Jusque là, rien de terrible, n'est-ce pas ? Seulement, j'étais seul, ma conquête de la veille devant probablement travailler,
elle, car il était évident qu'elle n'était pas de la même classe sociale que moi. J'étais donc seul à mon réveil, toujours aussi seul lorsque j'entrai dans la microscopique cabine de douche, mais un peu
moins seul lorsque je sortis de la salle de bain et me retrouvai face à un type, dans le genre bien baraqué, l'air pas très content. Il agitait un petit bout de papier dans sa main, qui, visiblement, m'était destiné. "
Merci pour cette nuit, c'était torride, mais dégage avant que mon petit ami n'arrive. " C'est lorsque je me retrouvai dehors, le nez en sang et la mâchoire endolorie, que j'ai fait le rapprochement entre Mr Muscle & le petit ami en question.
Deuxièmement, préférant ne pas prendre le risque de tomber sur un chauffeur cannibale si j'arrêtais un taxi, j'entrepris de rentrer à mon propre hôtel à pied. Évidemment, deux gosses en roller me rentrèrent dedans, alors que je sortais du Starbucks, un café brûlant dans la main et un donut dans l'autre. Mes vêtements en prirent un coup; mes parties intimes, aussi.
Troisièmement, lorsque j'arrivai à l'hôtel, j'étais au téléphone avec mon petit frère, qui me demandait quel métier le plus nul je connaissais pour que notre père lui foute la paix avec son "tu te trouves une vocation ou je te déshérite !" auquel j'avais aussi eu droit. Je me glissai dans l'ascenseur, saluant d'un vague signe de tête le groom qui s'y trouvait, chargé de la lourde tâche d'appuyer sur les boutons. J'étais loin de me douter que l'homme en question s'avérait être lui aussi de nationalité russe, et c'est en toute confiance que je proposai son métier à mon petit frère, en russe, "un métier à trèèèès lourdes responsabilités". Ce ne fut que lorsque je quittai la cage, arrivé à mon étage, et que l'employé me salua froidement en ma langue maternelle que je compris ma
petite gaffe.
Et me voilà arrivé à bon port, à quelques mètres à peine de la porte de ma suite. Évidemment, j'étais parfaitement conscient que ma malchance n'allait pas disparaître comme par magie sitôt le seuil de la porte franchi. Mais, à présent que j'étais absolument certain que ma cause était perdue, j'avais décidé de tout prendre avec philosophie, peu importe ce qu'il pouvait m'arriver.
J'ouvris la porte grâce à la carte magnétique et me glissai dans la suite. Directement, je m'allumai une clope, et je me dirigeai vers le minibar posé près de la fenêtre. J'en sortais une bouteille de vodka, seul remède pour ce qui m'arrivait, lorsque du bruit me parvint, de la pièce voisine. Je ne mis pas long à deviner de quoi il s'agissait, et, un sourire aux lèvres, la bouteille pleine dans une main et la clope dans l'autre, je me rendis tranquillement dans la chambre. Je m'appuyai contre l'embrasure de la porte, les jambes croisées, la tête légèrement penchée vers mon épaule, et portai ma cigarette à mes lèvres figées en un sourire en coin, intrigué par l'étrange position que ma femme & son amant avaient.
« Artémeese ? tu les prends de plus en plus jeune, non ? »Le type sursauta et tourna la tête vers moi, tandis que je tirais une nouvelle fois sur ma cigarette. Je leur fis un signe de la main, toujours un sourire au coin des lèvres, lorsque le regard, étonnamment fier, d'ailleurs, d'Artémeese rencontra le mien.
« Wow, c’est qui, lui ? »La question ne m'était pas destiné, mais je répondis tout de même, avant que ma tendre moitié ne le fasse.
« Son mari. Mais ‘vous arrêtez pas pour moi, je ne fais que passer. »Je souriai de plus belle en voyant les yeux du gars sortir de sa tête, et ouvrai la bouteille de vodka que je portai à mes lèvres. J'en bus une longue gorgée. Un peu trop longue d'ailleurs pour que je paraisse réellement détendu, et c'est pour ça que j'évitai soigneusement le regard d'Artémeese, lorsque je passai juste à côté d'eux, pour m'emparer d'un T-shirt posé dans la commode à côté du lit. Puis, je ressortis de la pièce comme j'y étais rentré, rassurant néanmoins le jeune homme en train de sauter mon
épouse au passage :
« Fais pas cette tronche, c'est pas comme si j'étais russe et que mes parents étaient des mafiosos... »Je portai la bouteille à la hauteur de mon visage et haussai les épaules en regardant le type devenir livide. Puis, je me détournai et sortis de la pièce, en buvant une nouvelle gorgée d'alcool. J'écoutai vaguement les murmures qui me parvenaient, tandis que je changeai rapidement de T-shirt, dans le salon.
« Oh, putain, je... Oh, meeerde ! »
« Pff, tu vas pas le croire quand mê... Hey, tu vas où ? »
« Écoute, t'es mignonne, mais, euh, j'voudrais pas que, enfin... Tu sais, finir comme tous ces gars dans.. dans les films et puis, je, je.. »Sourire & clopes aux lèvres, je franchis la porte de la suite, accompagné de ma fidèle amie la Bouteille.
« Vous êtes sûr que c'est... »Je jetai un regard glacial au barman, le coupant dans son élan, et poussai mon verre vers lui. Il n'insista pas, et le remplit de Tequila. Pour la quatrième fois depuis que j'étais arrivé dans ce bar, le troisième par lequel je passais depuis que j'avais quitté l'hôtel.
« .. Ça va pas fort, hein ? »Je fixai l'alcool qui coulait dans mon verre, mâchoires serrées. Sitôt qu'il fut rempli, je m'en emparai et le vidai à moitié en une seule gorgée.
« Laissez-moi deviner; c'est à cause d'une femme, c'est ça ? »Je relevai la tête vers le barman, le fusillai du regard.
« Eh, fermez-là ! »Le barman, à nouveau, préféra ne pas aller plus loin. Je fixai mes prunelles assassines sur lui, jusqu'à ce qu'il s'éloigne prudemment. Je vidai alors mon verre, mes yeux alors dans le vide, à l'endroit où se trouvait l'employé, et mon regard se porta sur le petit sachet de coke fraîchement acheté à un revendeur du coin, posé sans la moindre gêne à côté de mon verre, sur le comptoir; de toute manière, les trois quarts de la clientèle n'était que des junkies. Je l'observai, vaguement... Puis m'en désintéressai; plus tard. Je tendis le bras, m'emparai sans gêne de la bouteille posée derrière le comptoir. Me resservit, copieusement.
Comme chaque soir.